MASCULIN / FÉMININ
MASCULIN / FÉMININ
FÉMINISME RIME AVEC HOMINISME
Si la domination dite masculine (en réalité virile, car rien n’est dominant dans la masculinité) est un invariant d’un point de vue sociologique et anthropologique dans la quasi-totalité des sociétés humaines, la primauté du rôle de la mère (en réalité matrile, car rien n’est dominant dans la maternité) sur la construction psychologique et identitaire de l’enfant l’est tout autant. Dans les sociétés dites improprement « patriarcales », le père ne s’intéresse véritablement aux enfants qu’à un âge relativement avancé, et plus particulièrement aux garçons qu’il va initier à l’apprentissage de la virilité. Ce sont les mères qui s’occupent donc de l’éducation des enfants des deux sexes, puis exclusivement de celle des filles jusqu’à ce qu’elles soient en âge de se marier, en leur transmettant les apanages de la matrilité. Autrement dit, les mères ont le pouvoir sur leur fille jusqu’à ce qu’elles deviennent mères elles-mêmes, alors que les fils occupent le champ du pouvoir « viriarcal » dès qu’ils ne sont plus sous leur influence. Inversement, les pères bénéficient du pouvoir que leur confère leur position sociale de dominant, sur tous les espaces autres que la relation mère-enfant.
C’est donc la puissance de l’homme, et non celle du père, et celle de la mère, et non celle de la femme, qui dessinent les contours de la construction psychique de ces filles et ces fils, ce que révèle la fragilisation de la puissance paternelle contemporaine, lorsque la virilité n’est plus là pour l’étayer. Et ce sont les mères et leurs fils-hommes qui se partagent un jeu de dominations croisées entre l’espace privé et l’espace public, autant sur les papas que sur les filles-femmes. Autrement dit, la domination virile d’un point de vue sociologique ne peut s’appréhender seule, sans la question de la domination matrile sur le plan psychologique : la « loi du plus fort », celle des fils, symboliquement associée à la première, ne peut exister sans la puissance de leur enchaînement au lien maternel, et leur volonté de s’en émanciper, en tant que « lien au moins faible » et prérogative d’une autre forme de toute-puissance, celle de leur mère.
Le terme le plus exact pour désigner les mécanismes de domination sexués et sexuels à l’œuvre devrait être donc celui de « matriarcat viriarcal » mais nous lui préférons celui de « domination matrivirile » – ou matrivirilité. La tentation d’infantilisation des hommes et de victimisation des mères pourrait en être l’un des révélateurs, au jour où la prise de conscience de la transformation des rapports sociaux de sexe est majeure.
La question du genre y est directement articulée. Mais il nous faut au préalable discerner les quatre composantes de l’identité : l’identité sexuée (le sexe biologique), l’identité sexuelle (le sexe psychique), l’identité de genre (le sexe social), et l’identité de préférence affective et sexuelle (le sexe relationnel). Dans le psychisme, ces quatre dimensions coexistent, et sont parfois en opposition avec ce qui est montré, voire le corps lui-même. Ainsi, indépendamment de son sexe de naissance et toutes les combinaisons étant possibles, une personne peut être mâle ou femelle, se sentir homme ou femme, se présenter comme masculine ou féminine, et s’identifier enfin comme homosexuel ou hétérosexuel. L’intégrisme identitaire, idéologie directement issue de cette valence différentielle des sexes, impose de voir l’identité humaine nécessairement divisée en deux, suivant deux chaînes de signifiants opposés : un mâle humain est forcément un homme masculin et hétérosexuel, et une femelle humaine se doit d’être femme féminine et potentiellement homosexuelle (tant qu’elle n’a pas rencontré d’homme viril pouvant la satisfaire). Déplacer l’un de ces éléments pour un individu le rapproche invariablement de la chaîne de signifiants complémentaires.
Mais en réalité, ni la nature, ni la culture n’aiment les oppositions binaires, et dans chacun de ces champs, il existe des « entre-deux » : les intersexes (ou hermaphrodites dans le règne animal) pour le champ biologique, les transsexuel-le-s pour le psychique, les androgynes pour le social, et les bisexuel-le-s pour celui de la sexualité. Et si la question du genre nous interpelle si fortement, c’est qu’elle situe spécifiquement le lieu de la véritable transgression, celle qui est sanctionnée car la seule visible (les trois autres champs peuvent demeurer masqués) et qui désignent par là même ceux et celles qui trahissent la chaîne de stéréotypes binaires qui leur est imposée. Car si l’homme domine la femme, et la mère le père, comment ce jeu de domination croisées entre la toute-puissance de l’homme et celui de sa mère va-t-il s’opérer dans l’entre-femmes, dans l’entre-hommes, et entre hommes et femmes ? Précisément à partir du genre : ce sont les hommes dits « féminins » (et doublement s’ils sont pères), et les femmes au comportement « masculin » (d’autant plus qu’elles ne sont pas mères), qui sont pointés du doigt, parfois jusqu’à la violence la plus extrême, qu’il s’agisse de jeunes enfants, d’adolescents ou d’adultes économiquement productifs où l’on va les cantonner dans des domaines réservés.