VIOLENCE

VIOLENCE

UNE BIPOLARITÉ DANS LA VIOLENCE

Même si certaines violences sont reconnues comme majoritairement masculines (comme le harcèlement sexuel, le viol et les violences physiques dans le cadre conjugal), et d’autres beaucoup plus féminines (principalement la dévalorisation voire l’éviction du père dans l’éducation des enfants), il existe un double déni quant à l’expression des victimes et la reconnaissance des auteurs. En clair, il est beaucoup plus facile pour une femme d’exprimer sa souffrance lorsqu’un homme est suspecté d’en être la cause, que l’inverse, et beaucoup plus aisé de reconnaître un auteur de violence à l’encontre d’une femme que d’une auteure à l’encontre d’un homme.

Cette asymétrie dans les modalités d’expression de la violence et de la souffrance renforce ce double déni : les hommes utilisent majoritairement le narcissisme et l’intimidation comme modalité violente, ce qui définit de manière commune la virilité, tout en masquant leur souffrance par ces attitudes violentes. Les femmes (et l’entre-femmes le désigne tout aussi clairement) expriment principalement leur souffrance par le biais d’une victimisation excessive et d’une manipulation psychologique, tout en camouflant leur violence par ces mêmes mécanismes. Il n’existe pas de terme pour qualifier ce pendant de la virilité, en tant que violence masculine, d’où le néologisme de « matrilité », pour qualifier cette violence féminine.

Les garçons et les hommes présentent encore souvent la virilité comme rempart contre toutes les humiliations, sur la modalité de la loi du plus fort. En l’absence de modèle alternatif de construction de leur masculinité, être un homme c’est, aujourd’hui comme hier, être fier de sa superbe et ne pas se laisser marcher sur les pieds, autrement dit être narcissique et intimidant (et surtout pas sensible, comme pourrait l’être un papa tendre). Quand on fait travailler un groupe mixte sur leurs représentations des deux sexes, mais en séparant les hommes et les femmes, le narcissisme et l’intimidation sont systématiquement décriés par les hommes, évoquant les relations néfastes entre eux et vis-à-vis des femmes, et donc ce à quoi ils ne veulent surtout pas s’identifier. Les femmes sont bien entendu unanimes pour leur emboîter le pas, ces deux caractéristiques représentant parfaitement ce qu’elles rejettent dans le masculin.  

Dans le groupe de femmes, c’est le lien étouffant tissé par les moins faibles d’entre elles qui est le plus décrié. Elles insistent sur deux aspects qui musellent le moindre désir de liberté (et particulièrement dans le domaine de la sexualité), à savoir la manipulation systématique vis-à-vis d’autrui (en semant des rumeurs par exemple) et la capacité à se victimiser dès qu’on est en cause, donc la matrilité en tant que pire du féminin. Les hommes désignent dans les mêmes termes cette violence du féminin, parlant souvent de castration ou d’infantilisation dans le regard de certaines femmes.

Les normes de genre sont donc préexistantes à la violence à laquelle toute victime désignée est soumise. La virilité narcissique et intimidante incarnée de manière dominante au sein des groupes d’hommes de tout âge sanctionne d’un côté les garçons et jeunes hommes perçus comme trop sensibles, de l’autre côté la matrilité manipulatrice et victimisante réprime les filles et les femmes vues comme trop libres, bien avant que chacun et chacune rencontre le pire chez l’autre sexe (d’autant plus que la non mixité est recherchée ou prônée dans l’environnement social). En présence de l’autre sexe, la virilité domine le féminin dans toutes ses incarnations tout en sacralisant la matrilité, tandis que la matrilité infantilise le masculin en diabolisant simultanément la virilité, validant de manière complice les stratégies destructrices de nos sensibilités et libertés de part et d’autre.

Mais en réalité, les victimes de tout poil font face à cette violence bipolaire issue parfois d’une seule personne incarnant les « deux pires », et sachant utiliser les normopathies (au sens de normes abusives et dysfonctionnantes) des deux sexes pour avancer masquée : ceux et celles représentant la posture la plus violente, que l’on peut qualifier de perverse, manient tour à tour le narcissisme et l’intimidation, puis la manipulation et la victimisation. On pourrait dire aussi qu’un pire appelle l’autre, et que partout où le tigre (violence virile) est présent, l’araignée (violence matrile) n’est pas loin.

On retrouve cette articulation dans toutes les scènes de grande violence, même si la partie virile est toujours plus visible que la partie matrile. Olivier Clerc, qui a conceptualisé notamment cette bipolarité de la violence dans son ouvrage « Le tigre et l’araignée, les deux visages de la violence », prend notamment l’exemple du terrorisme :

« Les actes terroristes sont en effet typiquement tigresques : attentats, explosions, voitures piégées, bombes humaines, avec de nombreux morts et blessés (…). Si la violence de ces actes ne fait aucun doute, la question à se poser est de savoir dans quelle mesure ils peuvent parfois être mis en rapport avec la violence arachnéenne que subissent ceux qui les commettent ? Cette violence arachnéenne à l’égard des foyers d’où jaillit le Tigre terroriste peut en effet prendre de nombreuses formes : non reconnaissance d’un territoire, déni des droits fondamentaux, privation de libertés, mépris à l’égard des religions propres à ces populations, contraintes permanentes et multiples, paralysie sociale. De même que la foudre « objective » la charge non visible contenue dans les nuages, il faut se demander si les actions terroristes n’objectivent pas elles aussi une charge de haine considérable accumulée contre un ennemi désigné. » (Olivier Clerc 2004).